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Data Talks : Tout savoir sur le Chief Data Officer

Bienvenue dans l’épisode 3 de Data Talks, la série de Splunk dans laquelle des experts de la donnée décryptent pour nous les nouvelles tendances autour de la data. Nous retrouvons aujourd’hui un des spécialistes français de la donnée, Alain Yen-Pon, qui a démocratisé le rôle de Chief Data Officer (CDO) en France.

En 2020, en collaboration avec Gilbert Ton, il a publié le tout premier livre sur les CDO en France, sobrement intitulé Chief Data Officer, qui a remporté le Prix du livre du FIC (Forum International de la Cybersécurité) en 2021, dans la catégorie Cybercriminalité. On peut donc dire qu’il en connait un rayon sur le sujet…

 SOMMAIRE

 

Alain, si on devait donner une définition générique du métier de CDO, ce serait quoi ?

D’un point de vue personnel, je les considère un peu comme les nouveaux aventuriers de la data, à la recherche de la donnée ultime, dans la mesure où ils cherchent sans cesse à développer de nouveaux usages et à augmenter l’activité de l’entreprise dans toutes ses dimensions, à partir des données externes et internes à leur disposition.

De manière plus académique, on peut dire que le CDO est responsable de la donnée dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire de son intégrité, de sa qualité, de sa sécurité et de sa valorisation.

Nous avons rencontré un certain nombre de CDO à l’occasion notre podcast Étant Données et nous avons constaté que leurs profils étaient assez variés. Diriez-vous qu’il existe un profil type pour ce poste ?

Pas vraiment. Les professionnels occupant ce poste ont des profils très divers. Nous avons interrogé une trentaine de CDO et nous avons remarqué que leurs parcours dans les organisations étaient très riches. Il est un peu technique, un peu métier et un peu tacticien voire stratége. On croise aussi bien des data scientists que des spécialistes de la maîtrise d’ouvrage ou d’anciens représentants de fonctions métier, que ce soit dans le domaine du marketing, de la finance ou même du front office.

Et cette diversité est essentielle, car elle permet d’avoir une vue transverse sur les différents périmètres de données de l’entreprise.

Pour vous, que peut apporter le CDO à l’entreprise justement ?

Pour moi, et pour Gilbert Ton, le CDO est devenu un élément essentiel des entreprises. On le désigne tour à tour comme un orchestrateur, un conciliateur ou un alchimiste, car il a besoin de maîtriser les aspects techniques, les outils, les architectures et les systèmes d’information, tout en assumant un rôle de catalyseur au niveau des métiers afin de faire émerger les nouveaux usages et les nouvelles utilisations de données dont je parlais précédemment.

Dans le livre, on les qualifie « d’accoucheurs d’usages ». C’est un terme que je trouve particulièrement approprié, non seulement parce qu’il est très parlant, mais aussi parce que le processus est parfois douloureux. Mais ce n’est pas sa seule responsabilité. En prime, il doit s’assurer de la bonne gouvernance des données, de l’accessibilité et de la traçabilité des informations, tout en garantissant la sécurité, la conformité et la cohérence du dispositif. Et il a également un rôle clé à jouer dans la maîtrise des nœuds névralgiques de la cartographie de données de l’entreprise que sont les référentiels et les golden sources. C’est le prix à payer pour garantir la qualité des données et leur diffusion dans l’ensemble des systèmes d’information concernés.

Le CDO porte donc plusieurs casquettes. Il est à la fois chargé de l’organisation et de la structuration des données de l’entreprise, mais c’est un poste qui demande également une certaine créativité pour être en mesure de développer de nouveaux usages métier capables de mettre en valeur les périmètres de données.

Est-ce que vous avez relevé des pratiques et des méthodes communes aux différents Chief Data Officer que vous avez rencontrés ?

Je répondrais à la fois oui et non, notamment en raison des différents degrés de maturité des organisations que nous avons observés. Certaines entreprises ont en effet réussi à bien avancer en seulement quelques années, alors que d’autres, qui se sont pourtant lancées dans le data office plus en amont, peuvent encore avoir du mal à diffuser les bonnes pratiques au sein de leurs équipes. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement lié à la taille de la structure, mais plus souvent à la culture de l’entreprise et à la manière dont cette transformation numérique a été mise en place.

Il y a toutefois quelques éléments communs, principalement liés à la capacité des CDO à mettre en valeur les bénéfices de leur action pour l’organisation. Pour y parvenir, ils commencent généralement par un périmètre restreint, dans lequel ils évoluent de manière verticale, en travaillant sur la gouvernance, la qualité de la donnée, la communication et les collaborateurs. Ils élargissent ensuite petit à petit ce périmètre en fonction des gains observés afin de convaincre un maximum de parties prenantes de la pertinence de leur approche.

Car la plus grande difficulté des CDO est certainement de montrer leurs avancées et leurs réussites. Dans ce domaine, les tableaux de bord sont des outils essentiels. Ils permettent non seulement de quantifier la contribution du data office auprès des comités de direction, mais aussi de déterminer l’investissement optimal pour assurer la qualité des données, tout en prenant en compte la dette technique, que j’aime appeler « dette de la donnée mal utilisée ».

D’après nos observations, cette démarche progressive et ciblée fonctionne mieux qu’une approche globale sur l’ensemble des systèmes d’information ou des CRM, car il est bien plus difficile d’en dégager le gain à court terme.

Et qu’en est-il de leurs outils ?

On trouve un peu de tout. Excel est encore très répandu, mais les solutions évitant les opérations manuelles prennent de l’ampleur, en tout cas dans certains domaines. On peut notamment citer des data catalogs comme Zeenea, pour ce qui est de la définition des objets métier, ou encore les data lakes, en matière d’infrastructures.

Les data scientists, souvent intégrés aux équipes de data office, s’appuient aussi de plus en plus sur des technologies comme Power BI pour générer des outils de visualisation ou de reporting. Quelques organisations ont également recours à des plateformes qui permettent d’analyser des data sets spécifiques à un service ou un usage.

On peut toutefois difficilement parler de solutions universelles. Tout dépend du niveau de maturité de l’entreprise en matière de collecte et de distribution de l’information.

Avez-vous eu des retours d’expérience particulièrement pertinents ?

C’est effectivement un des objectifs du livre : montrer les possibilités dans une diversité de secteurs. Par exemple, nous avons découvert des pratiques très intéressantes en matière de formation et de diversité des cas d’usage chez Adéo, la maison mère de Leroy Merlin. Les données y sont en effet non seulement exploitées pour optimiser le parcours client, mais aussi pour améliorer la logistique et le contrôle qualité. Il s’agit donc d’un data office transverse qui exploite toutes les données disponibles.

Pour ce qui est de la formation, le mode d’intégration des nouveaux arrivants a permis à l’entreprise de construire des équipes ayant une très bonne connaissance des outils, des pratiques et des usages, ce qui les rend particulièrement réactives. Pendant quelques mois, les nouveaux collaborateurs sont ainsi formés aux outils dans un data hub dédié, avant d’être déployés sur site.

On trouve aussi un exemple intéressant autour de l’acculturation des pratiques chez BNP Asset Management. L’entreprise a travaillé sur un serious game de quatre à cinq mois s’appuyant sur une approche dynamique adaptant les situations d’apprentissage au profil et à la maturité des collaborateurs et a ainsi réussi à engager tous les collaborateurs de la filiale. Ce projet a été l’occasion de fédérer les équipes, tout en diffusant des connaissances et des bonnes pratiques autour de la data.

Le reporting est un autre champ critique pour le CDO, qui doit être capable de matérialiser ses travaux. Quelques entreprises pionnières à mon sens s’appuient sur un tableau de bord permettant de visualiser très simplement les marges de progression. De nombreux acteurs tombent en effet dans le piège du détail, au risque de perdre la majorité des interlocuteurs, alors que les comités de direction ont besoin de s’appuyer sur une vision plus large pour éclairer leurs décisions.

D’un point de vue plus organisationnel, on peut enfin citer l’exemple de Swiss Life. Leur approche montre l’importance de travailler dès le départ avec les métiers. Autrement dit, les usages ne doivent pas être définis sans prendre d’abord en compte les besoins concrets. Dans cette entreprise, ce sont donc les équipes métier qui font émerger, dans une sorte de data hub éphémère, les cas d’utilisation qu’elles souhaitaient mettre en œuvre.

Vous venez d’en évoquer un, mais est-ce qu’il y a d’autres écueils à éviter ?

Nous en avons effectivement listé un grand nombre dans le livre. Je ne peux pas donc tous les évoquer ici, mais je peux donner quelques exemples. Pendant la phase de construction du data office, on peut ainsi être tenté de suivre à la lettre la feuille de route précédemment établie, alors que cette démarche se révèle peu réaliste sur le terrain. Il est donc préférable de se fixer des horizons et des points d’étape flexibles plutôt que des objectifs figés afin de conserver une grande agilité et de pouvoir faire les ajustements nécessaires en cours de route.

Il est également essentiel de commencer par s’assurer du soutien de la direction, afin de disposer des moyens matériels et humains dont on a besoin pour évoluer dans de bonnes conditions, et de consulter les métiers, pour développer des cas d’usages utiles, qui sauront à leur tour convaincre de nouveaux acteurs. C’est une excellente méthode qui permet d’initier un cercle vertueux et de progresser sur les questions de qualité, d’intégrité et de valorisation.

J’ai toutefois l’impression que le recrutement est une question complexe. Selon vous, existe-t-il de bonnes formations initiales ou continues pour devenir Chief Data Officer ?

Oui, tout à fait. La formation dans le domaine du data management est devenue une question centrale pour toutes les organisations, et la filière académique s’est mobilisée autour du développement de ces compétences. Depuis 2014-2015, on voit de plus en plus de cursus en ingénierie, complétés par des masters, dans les domaines du big data, du data management ou de la data science. Même si elles sont assez spécialisées, ces formations exposent les étudiants à de nombreuses problématiques, comme les modèles de données ou la gouvernance, qui leur ouvrent des horizons plus larges afin de les préparer au métier de CDO.

Pour ce qui est de l’apprentissage continu, il existe un certain nombre de certifications exécutives complémentaires, délivrées notamment par des universités et des grandes écoles d’ingénieur comme Supélec, Polytechnique ou Dauphine, par exemple. Mais on voit aussi émerger de nouvelles initiatives proposant des parcours plus axés sur la pratique, comme le Bachelor Big Data & Management d’Audencia et Centrale Nantes. On trouve donc dorénavant des cursus alliant la technique au management, les deux moteurs de la fonction de CDO.

Et ça bouge également du côté des entreprises, qui proposent de plus en plus de formations en interne pour sensibiliser leurs équipes au data management. On a donc fait de gros progrès ces deux ou trois dernières années dans ce domaine.

Pour terminer, quelles sont selon vous les perspectives d’évolution du métier de CDO en France ?

Je crois que le CDO a un bel avenir devant lui, même si nous envisageons aussi des scénarii moins optimistes dans le livre. Tout d’abord, avec Gilbert, nous pensons que ce métier va faire émerger un nouveau paradigme autour de la gestion actifs/passifs. Dans le domaine de la data, il s’agit de questionner la manière dont on va valoriser nos données, tout en minimisant les coûts liés à la dette technique et aux problèmes de qualité. Cette manière de voir les choses pourrait, à terme, amener les acteurs à considérer la data comme un actif comptable à part entière. Ce serait en tout cas une évolution considérable pour aider les CDO à montrer les bénéfices de leur activité, au travers d’un P&L par exemple, et c’est déjà une évolution que l’on observe aux États-Unis.

Le deuxième axe concerne l’éthique et le rôle que va jouer le data office dans les questions de conformité. L’Europe a en effet élaboré un certain nombre de directives concernant l’utilisation des données par l’intelligence artificielle. Dans ce cadre, le CDO est particulièrement bien placé pour apporter une vue transverse sur la maturité du data set et potentiellement certifier sa conformité à la réglementation.

Enfin, on peut également souligner le rôle stratégique de la fonction. L’Europe et la France ont fait le choix d’investir dans la transformation numérique. Le Data Act européen, qui vise à encadrer la circulation et la diffusion des données, sera d’ailleurs bientôt publié. Le Chief Data Officer aura évidemment une grande responsabilité dans la définition et la mise en place des politiques de collecte et d’utilisation des données, véritable relais de de la construction des espaces de données voulues par la stratégie européenne des données. En collaboration avec le DSI et les métiers, il sera un des principaux points de contact entre l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise pour tout ce qui touche à la data et aura donc un rôle clé à jouer dans cette nouvelle orientation européenne.

C’est sans compter sur les évolutions technologiques majeures à venir, comme la réalité virtuelle ou le calcul quantique, et les changements climatiques, qui vont nécessairement impacter les organisations. Il y a donc beaucoup à faire et beaucoup de nouveaux bouleversements à attendre. C’est justement pour cette raison que nous avons donné rendez-vous à nos lecteurs dans deux ans.

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Le rendez-vous est pris ! Merci, Alain, de nous avoir accordé cette interview et merci aux personnes qui nous ont suivis. J’espère que cet article contribuera à démocratiser encore un peu plus les métiers de la data en France. On se retrouve très prochainement pour un nouveau Data Talks. En attendant, n’hésitez pas à vous rendre sur le blog de Splunk pour en apprendre davantage sur la data.

Et si vous souhaitez tout savoir sur ce métier, je vous conseille l’ouvrage d’Alain Yen-Pon et Gilbert Ton, Chief Data Officer : Pratiques, outils et perspectives.

 

Audrey est senior content marketing manager sur les marchés francophones. Elle est responsable de la création et la localisation en français de tout le contenu de Splunk, des réseaux sociaux au blog en passant par les réussites de nos clients ou les livres blancs. Avant Splunk, Audrey a entre autres travaillé chez VMware, Facebook, Neopost, Sanofi ou encore la SNCF. Passionnée par l’écriture, elle tient depuis des années un blog culture, Digression Urbaine.